ENTRE TRADITION
ET MODERNITÉ

Les Peuls du Bénin à la croisée des chemins

L’horaire du groupe indique simplement « visite d’un élevage de ruminants ». Mais lorsque les véhicules s'arrêtent au milieu du campement peul de Foki, dans la commune de Djidja, la journée se transforme en rencontre humaine inespérée.

Le campement est plutôt calme pour le moment. Des enfants s'amusent au loin. Des chèvres gambadent ici et là.

Devant nous, des dizaines de huttes en argile et en paille tressée occupent l’espace. Contraste frappant : plusieurs sont munies de panneaux solaires. Même la tradition sait se moderniser.

Ceux qui demeurent au camp vivent dans des huttes en paille et en argile.

Ceux qui demeurent au camp vivent dans des huttes en paille et en argile.

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D’humaines à humaines

Un petit groupe de femmes, rieuses et curieuses devant ces nouveaux venus, s’approche doucement. Salutations gestuelles.

L’une d’entre elles me prononce quelques mots en langue peule, désignant sa tête recouverte d’un voile. Ce sont mes cheveux lisses qui l’intriguent. Rires partagés. La barrière linguistique est déjà brisée.   

Espiègle, une autre femme s’approche et avance doucement son bras près du mien, étonnée. Nous comprenons à ce moment qu'ils seront nombreux aujourd'hui à interagir pour la première fois avec des Blancs.

Un groupe d’hommes apparaît finalement, tout sourire, et serre la main aux hommes du groupe. Les Québécoises s’échangent un sourire de connivence : aujourd’hui demeure un jour d’ouverture à l’autre.

Plus la visite avance, plus le village s’attroupe autour des nouveaux intrus, mais toujours à distance. Certains enfants, plus téméraires, tentent subtilement de toucher nos cheveux.

Je me retourne et leur fais signe. « Vous pouvez toucher, si vous voulez. »

Marrée humaine.

Un peu plus loin, ce sont les tatouages et les cheveux orangés de Marianne qui lui valent un vague d’amour. La productrice bovine du Témiscamingue ne s'imaginait pas vivre ce moment un jour.

Les contrastes entre le mode de vie traditionnel et la modernité, comme les téléphones intelligents, sont frappants au campement peul de Foki.

Les contrastes entre le mode de vie traditionnel et la modernité, comme les téléphones intelligents, sont frappants au campement peul de Foki.

Emmanuel Le Bel, éleveur bovin de l'Outaouais, rencontre de jeunes Peuls.

Emmanuel Le Bel, éleveur bovin de l'Outaouais, rencontre de jeunes Peuls.

De nombreux membres de la communauté rencontraient pour la première fois des Blancs. Les tatouages de Marianne Morency-Landry, éleveuse bovine du Témiscamingue, ont suscité la curiosité.

De nombreux membres de la communauté rencontraient pour la première fois des Blancs. Les tatouages de Marianne Morency-Landry, éleveuse bovine du Témiscamingue, ont suscité la curiosité.

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Les contrastes entre le mode de vie traditionnel et la modernité, comme les téléphones intelligents, sont frappants au campement peul de Foki.

Les contrastes entre le mode de vie traditionnel et la modernité, comme les téléphones intelligents, sont frappants au campement peul de Foki.

Emmanuel Le Bel, éleveur bovin de l'Outaouais, rencontre de jeunes Peuls.

Emmanuel Le Bel, éleveur bovin de l'Outaouais, rencontre de jeunes Peuls.

De nombreux membres de la communauté rencontraient pour la première fois des Blancs. Les tatouages de Marianne Morency-Landry, éleveuse bovine du Témiscamingue, ont suscité la curiosité.

De nombreux membres de la communauté rencontraient pour la première fois des Blancs. Les tatouages de Marianne Morency-Landry, éleveuse bovine du Témiscamingue, ont suscité la curiosité.

2

Entre survie et conflits

Heureux de ces oreilles attentives venues de l’étranger, le chef du village, Flubert Aïkpe, invite finalement le groupe de visiteurs à s’asseoir pour formuler ses questions sur la vie au campement.

Les membres de la communauté présents se taisent et s’installent cérémonieusement derrière lui : aînés devant, puis jeunes hommes, femmes et enfants derrière.

En comptant sur l’aide et la traduction de Mohamed Aliou, un Peul aujourd'hui sédentarisé, M. Aïkpe explique que son peuple fait face à de nombreux enjeux en lien avec son mode de vie basé sur la transhumance, soit la migration périodique du bétail.  

En rose, Mohamed Aliou, Peul sédentaire, traduit pour le chef du village, Aike Flubert, qui est vêtu de brun.

En rose, Mohamed Aliou, Peul sédentaire, traduit pour le chef du village, Aike Flubert, qui est vêtu de brun.

Chez les Peuls, pendant que les femmes et les enfants veillent au campement et font la transformation du fromage, les hommes s’éloignent jusqu’à quatre mois par année avec leurs troupeaux de bovins zébus, à la recherche de nouvelles sources d’eau et de nourriture à leur offrir. Pendant que la température grimpe au pays, fréquentes sont les visites de l’autre côté des frontières en quête de fleuves, au Togo ou au Nigeria, par exemple.  

« Le bœuf, c'est notre fierté. Si tu n’as pas de troupeau, dans notre communauté, tu ne seras pas respecté », résume M. Aliou, ajoutant qu’il en va de leurs revenus de subsistance. « Si tu dois acheter quelque chose, tu vends un animal », dit-il.

Ayant toujours eu accès à de grands espaces inhabités pour y vivre en nomades, les Peuls font cependant face depuis quelques décennies à l'agrandissement du territoire agricole cultivé pour nourrir une population grandissante. Dans les nombreux pays africains où ils évoluent, l'étau se resserre.

Pendant ce temps, les animaux sont de plus en plus enclins à obstruer des espaces et à divaguer vers les champs cultivés pour s’alimenter. La fréquence de ces incidents est telle que les conflits éleveurs-cultivateurs ont pris de graves proportions depuis une vingtaine d’années, allant jusqu’aux attaques meurtrières des différents côtés. 

« Chaque année, plusieurs éleveurs sont tués aux cours de la transhumance à la suite de conflits éleveurs-agriculteurs », se désole M. Aliou.

Abdoul Kassoum Haidara, qui a été envoyé en mission au Bénin par UPA Développement international à plusieurs reprises, dont pour la mission de la relève québécoise, s’est intéressé de très près à la situation des communautés peules.

Celui qui en a même fait une étude de cas pour sa maîtrise en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal explique que la situation s’est d’autant plus compliquée dans les dernières années, étant donné le climat politique et la résistance militaire du Bénin à l’implantation de groupes djihadistes, particulièrement dans le nord du pays.

« L’État a donné des armes aux paysans sédentaires pour qu’ils se défendent contre les terroristes, mais plusieurs se sont mis à utiliser ces armes contre les peuls, soulève M. Haidara. Les Peuls ont toujours une arme blanche avec eux pour se déplacer, alors les paysans n'attendent pas de voir s'ils les utiliseront contre eux. »

« Ils sont devenus très stigmatisés parce que les djihadistes en ont profité pour prendre leur défense, poursuit-il. Comme ils sont démunis, ils n’ont pas vu d’autre choix que d’accepter d’être associés à eux, faute de moyens de défense. »

Une situation qui contribue à alimenter les conflits, d'autant plus que plusieurs groupes terroristes de l'Afrique de l'Ouest, comme Ansaroul Islam au Burkina Faso, comptent une majorité de Peuls dans leur rang.

Or, selon Boukary Sangare, de l'Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel, « il n'y a pas de prédestination peule au djihadisme [...] mais sans doute une prédisposition à s'allier aux contestataires des ordres établis, inhérente à la condition d'itinérants qui est celle des Peuls, ainsi qu'à une dispersion géographique qui les condamne à demeurer toujours minoritaires », écrit-il en 2019 dans une publication de la Fondation pour la recherche stratégique.

La saison sèche s'achève et les bœufs sont plutôt à court de nourriture, près du campement. C'est pourquoi les éleveurs voyagent plusieurs mois avec leurs troupeaux en quête d'eau et de nourriture.

La saison sèche s'achève et les bœufs sont plutôt à court de nourriture, près du campement. C'est pourquoi les éleveurs voyagent plusieurs mois avec leurs troupeaux en quête d'eau et de nourriture.

3

Solution modèle

Devant cette menace à leur sécurité, la communauté peule de la commune de Djidja, dont fait partie le campement de Foki, a décidé de mettre en place une solution jamais vue. Un comité de conciliation rassemblant un éleveur et un agriculteur de chaque village a été formé il y a maintenant quatre ans.

« Quand il y a destruction des cultures, c’est eux qu’il faut appeler, note M. Aliou, qui est le président communal du comité. Ils vont essayer de parvenir à un règlement à l’amiable pour réparer le tort causé. Ça fonctionne. Maintenant, même quand un problème est rapporté au commissariat, même le commissaire appelle le comité pour qu’il le règle. »

Si des dommages sont causés à des cultures en l’absence de son propriétaire, celui-ci peut le rapporter au comité, qui devra faire tout en son possible pour trouver l’auteur et corriger la situation. En l’absence d’un coupable, le comité pourrait par exemple décider que les éleveurs à proximité se concertent et offrent un dédommagement collectif. « L’agriculteur est toujours apaisé », résume M. Aliou, qui considère aujourd’hui les éleveurs peuls de la commune à l’abri de conflits violents.

« Les comités de conciliation pourraient sauver l’Afrique de l’Ouest », croit Abdoul Kassoum Haidara, soulignant qu’il s’agit pour la première fois d’une solution issue de la communauté elle-même et non de l’extérieur. Même le système judiciaire n’est pas assez efficace pour obtenir une réparation satisfaisante dans les délais, souligne également le coopérant.

Abdoul Kassam Haidara est responsable de la mission au Bénin d'UPA Développement international avec la Fédération de la relève agricole du Québec. Il a étudié la situation des Peuls dans le cadre de sa maîtrise en sciences politiques à l'UQAM.

Abdoul Kassam Haidara est responsable de la mission au Bénin d'UPA Développement international avec la Fédération de la relève agricole du Québec. Il a étudié la situation des Peuls dans le cadre de sa maîtrise en sciences politiques à l'UQAM.

UPA Développement international a d’ailleurs soutenu les Peuls dans la mise sur pied de ce comité. L’organisme entend continuer, avec les représentants de l’ambassade canadienne, à perfectionner le comité avec la communauté, qui souhaite notamment avoir un représentant par campement plutôt que par village, étant donné qu’un village peut regrouper plusieurs de ceux-ci.   

« C’est très avancé et ça risque de servir de modèle au niveau national, poursuit M. Haidara. Ils ont un pouvoir décisionnel que tout le monde est obligé d’accepter. Plutôt que de passer par les mécanismes judiciaires et de donner tort ou raison, on trouve des jurisprudences qui permettent d'atténuer le tort causé à l’autre. »

« Les comités de conciliation pourraient sauver l’Afrique de l’Ouest »
Abdoul Kassoum Haidara

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Sédentarisation forcée

Préoccupé par les conflits éleveurs-agriculteurs, le gouvernement béninois a récemment entrepris une série de mesures de « sédentarisation des troupeaux », au pays. Celui-ci a prévu l’installation de 6000 hectares de parcelles fourragères au profit des éleveurs en 2023.

Cependant, « les éleveurs risquent de perdre énormément de têtes si les mesures ne sont pas prises en compte » pour aménager convenablement les espaces, croit M. Aliou.

M. Haidara se montre tout aussi sceptique. « C’est la solution la plus facile en apparence, mais aucun gouvernement de la sous-région n'a pu la mettre en place en raison des conséquences. Le problème est très complexe. Il y a des peuples ici au Bénin qui ont 10 000, 20 000 têtes. Comment on peut sédentariser un tel troupeau et lui donner suffisamment à manger dans un espace cloitré? »

« L’eau est déjà un problème ici, poursuit-il. Le pâturage est fait en sorte qu’ils arrivent souvent à des endroits au moment où il y a de grandes inondations. Avec les vaches qui boivent, ça contribue à diminuer la taille des lacs. Mais s’ils ne se déplacent plus, tout ça va changer. »  

Les troupeaux traversent régulièrement les routes pour se déplacer vers l'eau et la nourriture.

Les troupeaux traversent régulièrement les routes pour se déplacer vers l'eau et la nourriture.

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Destinées

Béninoise d’origine et résidant à seulement 25 km du campement de Foki, la jeune agricultrice Arcelle Agunkpleto fait pour la première fois la rencontre de ce clan en compagnie du groupe de Québécois. Toute une différence avec le quotidien que la jeune mère mène à Bohicon.

Touchée par les enfants, elle interroge le chef. « Ont-ils des portes de sorties, s’ils le désirent? »

Ayant leur propre culture, leur langue et leur mode de vie bien à eux, le clan de Foki admet avoir peu d’alternatives à offrir aux enfants qui ne voudraient pas suivre les traces de leurs parents.

« L’activité qu’ils font, les enfants, ils aiment ça. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas encore trouvé d’autres portes de sortie pour pouvoir orienter les enfants », traduit M. Aliou.  

« Ils veulent aussi que les enfants soient scolarisés, continue-t-il. Ils ont compris que le pâturage devient de plus en plus difficile. Quand les enfants seront scolarisés, ils pourront plus ou moins trouver d’autre portes de sortie, ils seront plus à l’aise ailleurs. »

« Qu’est-ce qui les en empêche? », demande Arcelle.

« Il n’y a pas d'école près d’ici, répond M. Aliou. Il faut aller jusqu’à Djidja Centre, à 3 km, pour trouver une école. Les enfants n’aiment pas s’écarter de leurs parents. C’est la difficulté réelle à laquelle ils sont confrontés. Mais s’il y avait une école primaire ici, si quelqu’un l’instaurait, ce serait facile à maintenir par la suite ».

Flubert Aïkpe, chef du campement peul de Foki, à Djidja

Flubert Aïkpe, chef du campement peul de Foki, à Djidja

Le groupe a échangé près d'une heure avec le chef du village pour mieux comprendre ce qui anime le quotidien des Peuls.

Le groupe a échangé près d'une heure avec le chef du village pour mieux comprendre ce qui anime le quotidien des Peuls.

Les enfants contribuent rapidement au travail, dans la communauté.

Les enfants contribuent rapidement au travail, dans la communauté.

Chez ce peuple musulman, certaines filles portent le voile dès un jeune âge, d'autres un peu plus tard.

Chez ce peuple musulman, certaines filles portent le voile dès un jeune âge, d'autres un peu plus tard.

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Flubert Aïkpe, chef du campement peul de Foki, à Djidja

Flubert Aïkpe, chef du campement peul de Foki, à Djidja

Le groupe a échangé près d'une heure avec le chef du village pour mieux comprendre ce qui anime le quotidien des Peuls.

Le groupe a échangé près d'une heure avec le chef du village pour mieux comprendre ce qui anime le quotidien des Peuls.

Les enfants contribuent rapidement au travail, dans la communauté.

Les enfants contribuent rapidement au travail, dans la communauté.

Chez ce peuple musulman, certaines filles portent le voile dès un jeune âge, d'autres un peu plus tard.

Chez ce peuple musulman, certaines filles portent le voile dès un jeune âge, d'autres un peu plus tard.

Pendant deux semaines, neuf jeunes de la relève agricole québécoise ont traversé le Bénin dans l’optique de tisser des liens qui aideront le pays à défendre son agriculture familiale en contexte de changements climatiques, de mondialisation et de course à la croissance économique. La Tribune les a accompagnés et y a fait la découverte des élevages, des cultures et des humains qui constituent la résilience béninoise. Ce reportage a été rendu possible grâce à Affaires mondiales Canada et UPA Développement international.