LE BOURLINGUEUR

48 HEURES À LA RENCONTRE DES ORANGS-OUTANS

Un peu plus d’une heure s’était écoulée depuis le départ du port de Kumai, au sud de l’île de Bornéo. Le long du canal que nous remontions sur un navire traditionnel en bois, des feuilles de palmiers s’agitaient. Le vent, seul, n’aurait pas su les faire danser autant. «Orang-outan! Orang-outan!» s’est écriée Nia, la guide, perchée sur le pont, au deuxième étage.

Le klotok, embarcation indonésienne à deux étages, toussotait comme un tracteur en mal de nicotine. Il s’est aussitôt étouffé, a ralenti. Dans les feuillages, curieux et craintif à la fois, un grand mâle orang-outan se montrait méfiant. Ayant le disque facial bien développé, il avait un peu moins de 30 ans, selon ma guide. Et il se trouvait là bien loin des stations que les gardes forestiers du parc national Tanjung Puting utilisent pour les attirer avec de la nourriture.

Je m’étais embarqué pour 48 heures à la rencontre des orangs-outans, mais j’étais déjà complètement coi, saisi. D’apercevoir ce grand singe en toute liberté, à l’intérieur d’un parc protégé, venait de m’accrocher un large sourire au visage. Peu importe ce qui arriverait par la suite, j’étais déjà entièrement satisfait de mon passage dans la jungle de Bornéo.

Je me suis donc prélassé sur le pont du klotok jusqu’à notre première escale : Tanjung Harapan. Tous les jours, à 15 h, un garde-parc s’y pointe, un panier rempli de bananes et de patates douces, pour nourrir les orangs-outans. Sur une plateforme de bois, il étale la nourriture et rejoint les visiteurs, sur des bancs à une vingtaine de mètres de là, en attendant les grands singes.

Le klotok est un navire traditionnel indonésien. Il s’agit du principal moyen de transport des touristes dans le parc national Tanjung Puting. 

Le klotok est un navire traditionnel indonésien. Il s’agit du principal moyen de transport des touristes dans le parc national Tanjung Puting. 

À ce temps-ci de l’année, racontait Nia, en mars, il est possible que les singes ne se pointent pas. Avec les pluies abondantes, ils trouvent une multitude de fruits dans la forêt. En réalité, les plateformes visent principalement à nourrir les orangs-outans qui ont été relâchés dans le parc après avoir vécu en captivité. Il arrive néanmoins que des primates sauvages s’y pointent également.

Les singes nasiques, reconnus pour leur nez imposant, se rassemblent en bordure des cours d’eau en fin de journée.

Les singes nasiques, reconnus pour leur nez imposant, se rassemblent en bordure des cours d’eau en fin de journée.

Les contacts entre les visiteurs et les primates sont le plus limité possible.

Les contacts entre les visiteurs et les primates sont le plus limité possible.

Outre les singes, il est possible de voir des serpents dans la jungle de Bornéo.

Outre les singes, il est possible de voir des serpents dans la jungle de Bornéo.

Les macaques sont omniprésents dans le parc national Tanjung Puting.

Les macaques sont omniprésents dans le parc national Tanjung Puting.

Ce gibbon connaît bien le moment et l’heure des repas servis pour les orangs-outans et s’invite à table tous les jours.

Ce gibbon connaît bien le moment et l’heure des repas servis pour les orangs-outans et s’invite à table tous les jours.

Des sentiers aménagés permettent d’accéder aux zones d’observation des orangs-outans.

Des sentiers aménagés permettent d’accéder aux zones d’observation des orangs-outans.

Item 1 of 6

Les singes nasiques, reconnus pour leur nez imposant, se rassemblent en bordure des cours d’eau en fin de journée.

Les singes nasiques, reconnus pour leur nez imposant, se rassemblent en bordure des cours d’eau en fin de journée.

Les contacts entre les visiteurs et les primates sont le plus limité possible.

Les contacts entre les visiteurs et les primates sont le plus limité possible.

Outre les singes, il est possible de voir des serpents dans la jungle de Bornéo.

Outre les singes, il est possible de voir des serpents dans la jungle de Bornéo.

Les macaques sont omniprésents dans le parc national Tanjung Puting.

Les macaques sont omniprésents dans le parc national Tanjung Puting.

Ce gibbon connaît bien le moment et l’heure des repas servis pour les orangs-outans et s’invite à table tous les jours.

Ce gibbon connaît bien le moment et l’heure des repas servis pour les orangs-outans et s’invite à table tous les jours.

Des sentiers aménagés permettent d’accéder aux zones d’observation des orangs-outans.

Des sentiers aménagés permettent d’accéder aux zones d’observation des orangs-outans.

Cet après-midi-là, deux individus se sont présentés, se tenant scrupuleusement chacun de leur côté de la plateforme, s’observant en engouffrant les bananes. L’orang-outan, peu sociable, est la seule espèce de singe à être plutôt solitaire.

Bien après qu’ils soient repartis, une poignée d’entre nous est restée, fixant la plateforme vide, balayant la jungle du regard, espérant que d’autres de leurs camarades se pointent. Nada.

Nous avons bien aperçu un serpent pendu à un arbre, d’un vert idéal pour le camouflage, et une grande quantité de moustiques, sans plus. Personne ne se plaignait pour autant du spectacle malgré tout grandiose.

Tanjung Puting est considéré comme l’un des principaux sites pour observer les orangs-outans en nature. Sur l’île de Bornéo, la région de Balikpapan est connue pour ses centres de rétablissement. Sur l’île de Sumatra, la région de Medan propose des randonnées pour rencontrer ceux dont le nom, en indonésien, signifie «peuple de la forêt».

Le parc national où je me trouvais, lui, couvre plus de 408 000 hectares et est désigné comme une réserve de la biosphère par l’UNESCO. Il a été le premier site pour étudier l’orang-outan sauvage. Il est par la suite devenu un site de rétablissement, mais il n’est plus possible d’y relâcher des animaux ayant vécu en captivité. On s’assure d’ailleurs de limiter les contacts possibles entre les humains et les primates pour réduire les liens de dépendance.

Après un copieux et délicieux repas servi directement sur le navire, que j’avais pour moi tout seul, faute d’autres voyageurs pour le partager, j’ai exploré à nouveau les sentiers de Tanjung Harapan, de nuit, la lampe frontale remplie d’insectes volants.

Lors de l’excursion, tous les repas, copieux, sont servis à bord du navire.

Lors de l’excursion, tous les repas, copieux, sont servis à bord du navire.

À la noirceur, ce ne sont pas les singes qu’on espérait voir. Une fois toute clarté évaporée, d’énormes araignées sortent de leur cachette. Avec un peu de bol, on surprendra également des volatiles tout colorés en train de roupiller. Même les faisceaux maladroits des gringos n’auront pas permis de les tirer de leur sommeil. Ha, et il y a bien les sangsues, également, qui ne reculeront devant aucun obstacle pour vous suivre jusqu’à votre klotok. Bas et vêtements longs ne suffisent pas pour les déjouer.

Pour passer la nuit, en pleine nature indonésienne, les visiteurs peuvent opter pour un camp écologique, sur la terre ferme, où les pas des macaques sur le toit de tôle mènent un train d’enfer, ou pour un matelas à même le plancher du klotok. Avant de s’assoupir sous un filet à moustiques, ils apercevront peut-être une nuée de lucioles scintillant autant que les centaines d’étoiles au-dessus de leur tête.

Le lendemain matin, un nouveau banquet pour orangs-outans est servi. À 9 h, c’est au site de Pondok Tanggui que le rendez-vous est fixé. Au petit matin, le jeûne nocturne a semblé assez rude pour qu’ils soient quelques-uns, bien accrochés près de la cime des arbres, à surveiller de loin l’arrivée du garde-parc. Cette fois-là, un énorme mâle ne laisserait aucune chance à ses voisins de négocier une plus grande ration.

Se hissant sur la plateforme, sans gêne aucune, il a enfilé les bananes une après l’autre à un rythme soutenu. S’il est resté en place pendant plusieurs dizaines de minutes, les femelles se succédaient à l’autre extrémité du podium, faisant majoritairement dos aux humains qui tentaient de les photographier.

Monsieur, d’un calme olympien, ne se montrait absolument pas intimidé. Le regard tendre, il vaquait à ses occupations sans se soucier de nous... jusqu’à ce qu’il décide, repu, que c’était entre nos rangées de bancs que se trouvait la sortie. Un instant, le ranger qui observait la scène s’est montré plus nerveux.

Au moins deux heures ont passé avant de reprendre la navigation vers Camp Leaky, où le repas est servi à 14 h. C’est là que plusieurs jeunes mères et leur petit se sont pointés, offrant au détour quelques pirouettes d’arbre en arbre. Plus apprivoisées, elles tendaient parfois la main directement vers le gardien pour obtenir leur goûter. Un ami plus âgé, un gibbon astucieux, squatte apparemment les réunions d’orangs-outans quotidiennement. Seul de son clan, il subtilisait des fruits, toujours à la hâte, avant de regagner les cimes.

Ces 48 heures se seront soldées par un spectacle bien simple, sous la chaleur indonésienne, à regarder de bien majestueuses bêtes manger. Mais le pincement était bien réel au moment de rentrer.

À revenir sur nos pas, nous avons attrapé un peu de pluie et un arc-en-ciel, assez pour apercevoir un grand-singe transformer une feuille de palmier en parapluie. Près du canal, quand le jour se refroidit, les troupeaux de singes nasiques, connus pour leur long nez, apparaissent nombreux.

Après une deuxième nuit en nature, le klotok est retourné doucement vers Kumai en matinée, pendant qu’on ressasse heureux les images de notre aventure.

RÉSERVER UNE EXCURSION

Les excursions vers Tanjung Puting sont offertes par plusieurs compagnies pour des prix variant de 350 à 500 $ pour deux nuits. Toutes suggèrent à peu près le même itinéraire, à quelques détails près, avec un niveau de confort variable. Le prix est fixé par navire et les compagnies proposant de regrouper les voyageurs sont rares, si bien que les aventuriers en solo disposent d’un moins grand pouvoir de négociation. Rien n’est toutefois impossible.

Si le prix paraît élevé, il inclut six repas, un guide, un cuisinier, le transport pour deux jours et les coûts d’accès au parc. Pour observer des grands singes, l’expérience demeure plus abordable que la randonnée pour voir les gorilles en Ouganda ou au Rwanda, où il faut désormais payer entre 700 $ et 1500 $ américains... pour une heure.