LAC-MÉGANTIC

« Beaucoup de beau est ressorti de la tragédie »

Photo La Tribune, archives, Jessica Garneau

Photo La Tribune, archives, Jessica Garneau

Nathalie Guay et Yvon Rosa ont échappé à la mort de peu, il y a dix ans, cette nuit où un train hors de contrôle a dévalé sur le centre-ville de Lac-Mégantic. Si l’émotion est encore présente quand ils racontent cette nuit d’horreur, on sent qu’elle s’est atténuée, que le temps a bien joué son rôle, celui d’adoucir les souvenirs.

Nathalie Guay et Yvon Rosa (photo La Tribune, Maxime Picard)

Nathalie Guay et Yvon Rosa (photo La Tribune, Maxime Picard)

Le couple s’était rencontré quelques semaines plus tôt. « Un vrai coup de foudre », disent-ils en chœur. Le 5 juillet 2013, ils ont décidé d’aller écouter des chansonniers au Musi-Café du centre-ville. Cette soirée allait changer leur vie.

Ils étaient dehors quand ils ont vu la locomotive se renverser sur le côté, là, juste sous leurs yeux. Ils n’ont pas figé. Ils ont choisi de fuir dans la bonne direction, la seule qui pouvait leur permettre d’échapper au mur de feu qui les talonnait. Est-ce l’instinct? « Ce sont les anges gardiens », rétorque Nathalie Guay sans la moindre hésitation.

Photo fournie, Pierre Lebeau

Photo fournie, Pierre Lebeau

Ils ont fui jusqu’à leur bateau, grâce auquel ils ont pu s’éloigner sur le lac Mégantic pour assister, impuissants et désorientés, à la suite de la tragédie, aux autres explosions. Cette nuit-là, ils ont perdu des amis, des connaissances, des concitoyens – eux qui habitaient Lac-Mégantic depuis toujours.

Dans les mois qui ont suivi, ils se sont remis en question, se sont dit que c’était l’heure de faire des choix. Au pluriel. Le couple a décidé de déménager à Sherbrooke. Ils y sont toujours aujourd’hui. Ils ont surtout décidé de continuer à célébrer la vie, cette vie si précieuse.

Treize mois après la tragédie, le 8 août 2014, le couple a célébré son mariage sur le bord du lac Mégantic, avec près de 300 convives. Une fête grandiose, lumineuse, à leur image. Une fête accueillie comme un baume dans la communauté, encore sous le choc du déraillement.

Nathalie Guay et Yvon Rosa (Photo fournie)

Nathalie Guay et Yvon Rosa (Photo fournie)

« C’est une tragédie, mais je ne voulais pas m’accaparer cette tragédie. Il faut de la lumière dans la vie », dit Nathalie Guay, qui en dégage énormément en entrevue.

Et de Sherbrooke, qui les a accueillis il y a maintenant neuf ans, le couple continue de visiter Lac-Mégantic souvent. Très souvent. Ils y font pratiquement tous leurs achats, pour encourager l’économie locale. Par solidarité. Par amitié. Par esprit de communauté. Pour donner espoir, aussi. Parce que la lumière est là, disent-ils, en chacune de ces personnes qui ont vécu la tragédie de près ou de loin.

Photo La Tribune, archives, Maxime Picard

Photo La Tribune, archives, Maxime Picard

Ce mot revient d’ailleurs dans la plupart des entrevues sur la tragédie : la lumière.

« Oui, il y a eu le drame, mais il y a tellement de belles choses qui se sont passées. Il faut mettre en lumière que les gens ont continué d’avancer », explique la Dre Mélissa Généreux, qui venait d’être nommée directrice de la Santé publique de l’Estrie au moment du déraillement.

Dre Mélissa Généreux (Photo La Tribune, archives, Maxime Picard)

Dre Mélissa Généreux (Photo La Tribune, archives, Maxime Picard)

Les résidents de la MRC du Granit sont tissés serré. Soudés. Ils sont résilients. Ils se connaissent très bien. Ils veulent s’aider. C’était déjà comme ça avant que le train fou dévale la pente entre Nantes et le centre-ville de Lac-Mégantic.

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Si cette solidarité est restée aussi présente après la tragédie, ce n’est pas un hasard.

Des études menées un an, deux ans et trois ans après la tragédie ont démontré que les Méganticois allaient moins bien que l’ensemble des Québécois; qu’ils vivaient encore avec les effets du choc post-traumatique. L’équipe de la Santé publique de l’Estrie cherchait quoi faire pour leur venir en aide

« Ce n'est pas juste un accident ferroviaire qui arrive une journée, on ramasse la ferraille, puis on recommence le lendemain. L'impact sur la communauté, sur les citoyens, est encore réel aujourd'hui. Donc, ce n'est pas juste un accident ferroviaire. C'est un traumatisme. »
Julie Morin, mairesse de Lac-Mégantic

En 2016, la Santé publique a mis sur pied ce qu'on appelle maintenant « l'équipe de proximité » de Lac-Mégantic. 

« Ce sont des personnes qui avaient le mandat d’être en contact avec les citoyens, d’aller là où ils se trouvaient, et de chercher des moyens de les aider, raconte la Dre Généreux. Mais on n'avait pas de coffre à outils, de guide ou d'exemples pratiques, seulement des pages blanches. »

Aujourd'hui, la démarche d’abord instinctive – mais bien documentée – de ce qui a été vécu à Lac-Mégantic vient en aide à des collectivités partout sur la planète, lorsqu'ils vivent une situation de crise.

La professeur Danielle Maltais a passé sa carrière à l’Université du Québec à Chicoutimi à s’intéresser aux conséquences des catastrophes sur les individus. La chercheuse s’est alliée à la Dre Généreux pour mener des enquêtes sur les conséquences psychosociales de la tragédie chez les résidents de Lac-Mégantic.

Danielle Maltais (Photo Le Quotidien, archives)

Danielle Maltais (Photo Le Quotidien, archives)

« Il y a eu une aide psychologique exceptionnelle à Lac-Mégantic. C’était la première fois qu’on se souciait autant de la santé psychologique grâce à la Santé publique de l’Estrie. Quand il y a eu les inondations à Chicoutimi en 1996, on en parlait encore au gouvernement comme d’un événement régional, pas comme d’une catastrophe au Québec », rappelle Mme Maltais.

En 2018, près de la moitié des adultes de la MRC avaient encore des manifestations modérées ou sévères de stress post-traumatique. « Avec le temps, la santé mentale s’améliore, mais on n’oublie pas. On vit avec les événements, avec les souvenirs. Mais il y a beaucoup de bon et de beau qui est ressorti de la tragédie de Lac-Mégantic », soutient la professeure Maltais.

Plus on discute avec les Méganticois, mieux on comprend qu’ils ont traversé les deuils et les tempêtes en gardant la tête haute, refusant de s’écrouler sous le poids de la tragédie. Plusieurs vont bien aujourd’hui.

« Pour certains, être exposé à une telle tragédie, c’est une occasion de remettre ses valeurs à la bonne place », observe Mme Maltais.

« Aujourd’hui, il faut donner espoir à ceux qui souffrent encore. »
Danielle Maltais, professeure à l’UQAC

La chercheure évoque le glissement de terrain de Saint-Jean-Vianney, au Saguenay, qui a fait 31 victimes en 1971. Cette tragédie a été reconnue comme « événement historique national » par le gouvernement du Québec, il y a deux ans. 

Danielle Maltais et son équipe ont fait un suivi sur l’état de santé des survivants et des témoins de la tragédie, 28 ans après le soir fatidique. « Les gens se souvenaient d’où ils étaient, avec qui ils étaient, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils ont entendu, des odeurs, aussi clairement que si c’était hier. Mais la plupart vont bien », dit-elle.

Cindy Steward, Marie-Claude Maillet et Audrey Auclair (Photo La Tribune, Jocelyn Riendeau)

Cindy Steward, Marie-Claude Maillet et Audrey Auclair (Photo La Tribune, Jocelyn Riendeau)

Assises autour d’une table en entrevue, trois des quatre travailleuses de l’équipe de proximité de Lac-Mégantic racontent en rafale leur vision de « la place éphémère », ce parc rassembleur du Lac-Mégantic de 2023.

Trois ans après la tragédie, une journée de réflexion collective a permis de constater qu’il fallait vite trouver un nouvel espace pour rassembler la communauté. Avant, « si tu trouvais ta soirée un peu plate, tu avais juste à sortir prendre une marche en ville et tu voyais quelqu’un. Mais là, il n’y avait tout simplement plus de centre-ville. On avait donc un terrain vague à notre disposition et on a dit : “est-ce qu’on le fait vivre, ce terrain-là, gang?” », raconte Marie-Claude Maillet, organisatrice communautaire dans l’équipe de proximité.

Les trois femmes se connaissent bien, elles sont soudées et passionnées. Ça se sent dans leur façon de parler, d’enchaîner sur les idées les unes après les autres.

« On s’est dit au départ du projet : nous devons aller chercher les forces de chacun », raconte Mme Maillet.

« On ne pouvait pas se passer de personne », ajoute Cindy Stewart, technicienne en travail social.

Tout ne se fait pas toujours aussi vite qu’on pourrait le penser, ou le souhaiter, observe la travailleuse sociale Audrey Auclair, membre de l’équipe de proximité.

« On prend le temps d’emprunter le long chemin, parce que la guérison ne se fait pas seulement dans la destination, mais aussi dans le chemin parcouru. »
Audrey Auclair, travailleuse sociale

La place éphémère (Photo La Tribune, Maxime Picard)

La place éphémère (Photo La Tribune, Maxime Picard)

Et l’avenir, Dre Généreux, de quoi est-il composé?

« Il y a eu beaucoup de stresseurs secondaires dans les derniers mois : la sortie du documentaire de Philippe Falardeau, la série Mégantic, l’intérêt médiatique, le 10e anniversaire, la pandémie, le dossier de la voie de contournement qui s’étire... Ça n’aide pas. Mais c’est normal, la communauté sait qu’elle est exposée à ça. Il faut profiter pour montrer toute la lumière, tout ce qu’il y a eu de beau à Lac-Mégantic, chez les Méganticois. »

Photo La Tribune, archives, Jessica Garneau

Photo La Tribune, archives, Jessica Garneau

Les résidents de Lac-Mégantic sont un peu tannés qu’on leur parle seulement de la tragédie. Lac-Mégantic, disent-ils, c’est aussi une des plus belles réserves de ciel étoilé au monde, un lac magnifique, un parc national avec de superbes montagnes parsemées de sentiers. C’est aussi de bonnes tables, des habitants chaleureux, une nouvelle marina qui va bientôt ouvrir.

« Il faut en profiter pour montrer toute la lumière, tout ce qu’il y a eu de beau à Lac-Mégantic, chez les Méganticois. »

Cynthia Beaulne, conceptrice graphique

Photo La Tribune, archives, Ariane Aubert Bonn

Photo La Tribune, archives, Ariane Aubert Bonn