BÉNIN

L’HOMME
QUI A VU
L'HOMME
QUI A VU
L'EAU

KÉTOU — La saison sèche tire à sa fin, au Bénin. Il y aura bientôt cinq mois que Duince Ahossouhe tente de rejoindre la nappe phréatique dans les profondeurs de sa parcelle agricole du village de Kétou. Déjà, 70 mètres se sont allongés vers le centre de la Terre sans qu’une goutte d’eau n’apparaisse.

Équipés du strict minimum, des hommes descendent chaque jour au fond de son puits à grand diamètre pour y soustraire davantage de terre, un sceau à la fois. Les espoirs sont grands pour les dix prochains mètres, si le producteur se réfère à la moyenne de la région. 

En attendant, le jeune agriculteur de la relève doit se faire livrer des cargaisons d’eau pour abreuver ses porcs, ses chèvres, sa volaille et ses lapins. Dans les champs, le sol est méticuleusement bordé d’arbres et recouvert de paille pour en conserver l’humidité. 

À terme, ce puits devrait coûter non loin de 7000 $ CA, estime-t-il, soit l’équivalent de cinq ans de salaire pour un travailleur gagnant le salaire minimum au Bénin.

Duince Ahossouhe, président du Collège des jeunes agriculteurs (CJA) du Bénin

Duince Ahossouhe, président du Collège des jeunes agriculteurs (CJA) du Bénin

C’est pour trouver une oreille attentive à ce genre de problématique cruciale que M. Ahossouhe a décidé de devenir le premier président du Collège des jeunes agriculteurs (CJA) du Bénin.

« La maîtrise de l’eau, pour moi, c’est le socle même de l’agriculture. Et c’est vraiment notre enjeu principal », explique M. Ahossouhe.

Au Bénin, plus de la moitié de la population vit de l’agriculture. Pour la presque totalité, ce n’est que l’eau tombée du ciel qui décide de la survie des cultures.

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Conséquences directes

La ville de Dassa-Zoumé, par des températures de 40 degrés celsius.

La ville de Dassa-Zoumé, par des températures de 40 degrés celsius.

Dans les sept départements béninois visités, les effets des changements climatiques sont bien subis et nommés.

Alors que leurs aïeux profitaient auparavant de quatre saisons, soit deux saisons sèches et deux saisons des pluies, les agriculteurs racontent devoir aujourd’hui composer avec une longue sécheresse suivie d’une seule et longue période de pluie par an.

D’un côté du calendrier, des couches de terre cultivée sont emportées par la pluie, tandis que des bêtes meurent noyées dans des inondations ou trop affectées par l’humidité.

De l’autre, éleveurs et troupeaux doivent voyager des jours durant à la recherche de points d’eau, pendant qu’une majorité de cultures sont devenues impossibles sans arrosage.

En attendant la pluie, les transformatrices de manioc et d’igname soupirent et tournent au ralenti.

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« C’est l’Afrique qui
souffre encore le plus »

Dans le département des Collines, le granit présent dans le sol empêche la majorité des agriculteurs d’avoir accès au forage. Nombreux sont ceux – et celles – qui doivent régulièrement aller chercher l’eau à des kilomètres de chez eux.

Paul Agbodan, coordonnateur pour l’Union des groupements coopératifs des agriculteurs Mowossokpo (UGAM), explique que l’adaptation aux changements climatiques est un défi majeur pour les jeunes producteurs.

« C’est l’Afrique qui souffre encore le plus. Nous ne disposons pas des moyens pour mettre en place des systèmes ou des stratégies qui existent pour nous adapter », énonce-t-il en nommant le recours à des systèmes hydroagricoles.

« C’est un investissement lourd. Et il faudrait un appui pour que ces jeunes, même s’ils se retrouvent sur un hectare ou un demi-hectare, puissent cultiver toute l’année », note-t-il. 

En 2019, le Canada a émis 49 fois plus de gaz à effet de serre que le Bénin, mais avec une population seulement trois fois plus grande.

« C’est nous qui détruisons la planète, et ce sont eux les premiers à en souffrir », se désole Frédéric Turgeon-Savard, copropriétaire de la ferme La Roquette à Brownsburg et coopérant volontaire pour une mission spéciale de la Fédération de la relève agricole du Québec au Bénin.

N'ayant pas accès à l'eau, de nombreux ménages qui habitent les zones rurales doivent remplir de grands bidons d'eau en zone urbaine.

N'ayant pas accès à l'eau, de nombreux ménages qui habitent les zones rurales doivent remplir de grands bidons d'eau en zone urbaine.

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Manque de ressources

La coopérative Albarika a subi des pertes de 20 000 plants l'an dernier, en raison d'une sécheresse extrême.

La coopérative Albarika a subi des pertes de 20 000 plants l'an dernier, en raison d'une sécheresse extrême.

À la coopérative Albarika, qui évolue depuis dix ans dans la production maraîchère et pépinière à Gouka, des milliers de plants d’acacia qui serviront à reboiser les forêts béninoises sont arrosés à la main par les travailleurs.

Installée sur des terres prêtées par la municipalité, l’entreprise a le rare privilège d’avoir accès à un point d’eau naturel. Malgré cela, des troupeaux de ruminants en divagation s’y retrouvent régulièrement, encombrant ainsi le plan d’eau et restreignant la quantité d’eau disponible.

La sécheresse qui s’est abattue sur le continent en 2022 est d’ailleurs toujours vive dans les souvenirs de ces producteurs, qui ont subi des pertes s’élevant à 20 000 plants malgré leurs efforts. Incertitude et résilience font simplement partie du quotidien, désormais.

« Soit il n’y a pas de pluie, soit il y en a trop et ça retarde la croissance des semis, témoigne Grégoire Dahato, président de la coopérative Albarika. Cette année, c’est venu, mais est-ce que ça va aller comme prévu et donner ce dont les agriculteurs ont besoin? »

« Le soleil est devenu trop ardent avec les changements climatiques, ajoute-t-il également. C’est difficile pour notre peau de travailler sous ce soleil toute la journée. »

L’entreprise a obtenu un contrat à court terme pour le projet Forêts classées Bénin, un partenariat entre le gouvernement et la Banque mondiale qui vise à réparer les torts causés par la coupe excessive d’arbres, une source majeure d’énergie au pays.

Grégoire Dahato, président de la coopérative Albarika

Grégoire Dahato, président de la coopérative Albarika

En aménageant des forêts classées, ce projet souhaite diminuer la pression sur les espèces menacées et valoriser les produits forestiers non ligneux en plus de miser sur la disponibilité d’essences de bois d’énergie à croissance rapide, comme l’acacia.

« La nature, c’est important pour la vie humaine », tient à préciser M. Dahato.

Pour remédier aux soucis de production de la coopérative, la solution se trouverait notamment dans l’installation d’un système d’irrigation automatisé, croit-il. Mais où trouver les ressources, alors que la demande chutera à nouveau dès le contrat terminé? Et comment protéger un investissement sur un terrain dont ils ne sont pas propriétaires?

La coopérative Albarika fait partie de la minorité de fermes ayant accès à un point d'eau naturel.

La coopérative Albarika fait partie de la minorité de fermes ayant accès à un point d'eau naturel.

Il est très courant que les travailleurs apportent leurs enfants au travail avec eux, au Bénin.

Il est très courant que les travailleurs apportent leurs enfants au travail avec eux, au Bénin.

La coopérative cultive différentes essences d'arbres, dont le teck.

La coopérative cultive différentes essences d'arbres, dont le teck.

Dans les plantations forestières, les producteurs déclenchent des incendies au sol afin d'éliminer les mauvaises herbes.

Dans les plantations forestières, les producteurs déclenchent des incendies au sol afin d'éliminer les mauvaises herbes.

Des avocatiers en croissance. Ils seront prêts à produire après au moins trois ans.

Des avocatiers en croissance. Ils seront prêts à produire après au moins trois ans.

Les coopérants utilisent une pompe pour amener l'eau jusqu'à leurs jeunes plants.

Les coopérants utilisent une pompe pour amener l'eau jusqu'à leurs jeunes plants.

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La coopérative Albarika fait partie de la minorité de fermes ayant accès à un point d'eau naturel.

La coopérative Albarika fait partie de la minorité de fermes ayant accès à un point d'eau naturel.

Il est très courant que les travailleurs apportent leurs enfants au travail avec eux, au Bénin.

Il est très courant que les travailleurs apportent leurs enfants au travail avec eux, au Bénin.

La coopérative cultive différentes essences d'arbres, dont le teck.

La coopérative cultive différentes essences d'arbres, dont le teck.

Dans les plantations forestières, les producteurs déclenchent des incendies au sol afin d'éliminer les mauvaises herbes.

Dans les plantations forestières, les producteurs déclenchent des incendies au sol afin d'éliminer les mauvaises herbes.

Des avocatiers en croissance. Ils seront prêts à produire après au moins trois ans.

Des avocatiers en croissance. Ils seront prêts à produire après au moins trois ans.

Les coopérants utilisent une pompe pour amener l'eau jusqu'à leurs jeunes plants.

Les coopérants utilisent une pompe pour amener l'eau jusqu'à leurs jeunes plants.

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Mortalité « énorme »

Rencontrée entre deux cours à l’Université nationale d'agriculture, à Kétou, Rosteck Houndode étudie pour devenir agronome. Une voie plutôt rare pour les femmes, avoue-t-elle.

Passionnée, l’étudiante de 19 ans souhaite contribuer à l’agrandissement de l’entreprise de ses parents, qui élèvent des porcs, de la volaille, du mouton et des bœufs. Mais elle sait très bien que la tâche pourrait devenir de plus en plus difficile.

« Il y a beaucoup de contraintes à l’élevage avec les changements climatiques. Pendant la saison sèche, il y a beaucoup plus d’épidémies qui touchent les animaux. Le taux de mortalité est énorme. Par exemple, en ce moment, c’est la volaille », confie-t-elle.

L’inverse est aussi raconté. Christophe Oga Codjo, producteur caprin à Savalou, a lui-même perdu sept chèvres aux mains d’une maladie inconnue en septembre dernier. Trop de pluie, dit celui qui n’en possède maintenant que huit. « On n’a pas de vétérinaire aguerri à proximité », se désole-t-il. 

Rosteck Houndode

Rosteck Houndode

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« Injustice »

Les animaux évolue librement, au Bénin, afin que la nature leur serve de garde-manger.

Les animaux évolue librement, au Bénin, afin que la nature leur serve de garde-manger.

Au bord de l’étang, à la coopérative Albarika, le maïs prospère à travers les plants de gombos. Avec beaucoup de travail, toutes les conditions ont été réunies pour qu’au moins deux épis soient récoltés par plants, deux fois par année. Un rendement inespéré pour ceux qui composent avec le climat québécois. Frédéric Turgeon-Savard n'en croit tout simplement pas ses yeux.

« Injuste ». C’est le principal mot qui est venu en tête au producteur maraîcher en visitant les fermes du pays.

« Le sol est meilleur que chez nous et le climat est meilleur que chez nous, soulève M. Turgeon-Savard. Il y a un potentiel agronomique et climatique gigantesque, mais l’aide n’y est pas. Ça ne fait aucun sens que chez nous, on ait plus d’aide et qu’on puisse plus prospérer, quand les aléas climatiques sont plus défavorables à l’Afrique. Il y a tellement de choses qui pourraient pousser ici et qui auraient un important impact sur la santé de la population. »

Lui et ses collègues ont d'ailleurs été ébahis par les pratiques agroenvironnementales utilisées par les Béninois, à commencer par la gestion des déchets organiques, qui sont systématiquement valorisés notamment pour la fertilisation, l'alimentation des animaux ou la biomasse.

« Maintenant, ce qu'on trouve innovant, c'est de revenir à la base. Ç'a toujours été ça, l'agriculture. C'est nous qui l'a bousillée dans les 100 dernières années », réfléchit le membre de la mission Simon Brault, qui enseigne la gestion agricole au Collège Macdonald de l'Université McGill.

Frédéric Turgeon-Savard est copropriétaire de la ferme biologique La Roquette à Brownsburg. Il est aussi vice-président du Syndicat de la relève agricole Laurentides-Outaouais.

Frédéric Turgeon-Savard est copropriétaire de la ferme biologique La Roquette à Brownsburg. Il est aussi vice-président du Syndicat de la relève agricole Laurentides-Outaouais.

Simon Brault est enseignant en gestion agricole au Collège Macdonald de l'Université McGill.

Simon Brault est enseignant en gestion agricole au Collège Macdonald de l'Université McGill.

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Investissement risqué

Seuls 3,4 % des exploitations agricoles végétales bénéficient d’irrigation au Bénin, selon son ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche.

Pour avoir accès à des forages, des puits, des châteaux d'eau et des systèmes d’irrigation, les producteurs doivent généralement contracter des prêts à taux d’intérêt allant de 12 à 24 % s’ils réussissent à s'en montrer « dignes ».

« Que ce soit avec le microcrédit ou la banque, on vous demande une garantie matérielle, explique Duince Ahossouhe. C’est généralement les conventions de parcelle ou le titre foncier. Déjà que le jeune a de la difficulté à trouver sa parcelle, imaginez le titre foncier », indique-t-il, rappelant que le cadastre national est toujours en cours d'instauration au Bénin et que les transactions informelles demeurent plus que courantes.

« Mais un jeune qui se décarcasse à avoir une convention de parcelle et qui se tourne vers le microcrédit, on lui applique un prêt à 24 % sans différé, poursuit-il. Dès le mois suivant, il doit commencer à rembourser. Même la laitue ne se produit pas en un mois. Il n’y a pas de production agricole qui soit adaptée à ce genre de prêts. »

Même plus au sud, à Abomey, Ghislaine Gomez s’est butée à des embûches lorsqu’elle a enfin amassé assez pour forer un puits sur la parcelle de dix hectares que sa mère lui a offerte avant de décéder subitement.

Son entreprise artisanale de transformation de soja lui a permis d’éviter le pire, raconte-t-elle, et de générer tranquillement des ressources pour son projet. Pas question de prendre un prêt sans savoir si elle pourra le rembourser.

Ayant eu le privilège d’étudier dans le réputé centre de formation agricole Songhaï, à Porto-Novo, celle-ci rêve d’une ferme maraîchère biologique qui aurait aussi son volet animal afin d’intégrer les déchets de l’un et l’autre.

« J’ai pu forer un puits, mais, finalement, il y a du granit et je ne peux pas atteindre l’eau. J’aurais besoin d’autres machines, mais c’est trop couteux. Mon projet est en arrêt. Je réussis à faire un peu de piment durant la saison des pluies, c’est tout », raconte la jeune femme de 32 ans, qui a un conjoint et deux enfants.

Chez Duince Ahossouhe, l'agriculture suit le rythme de la pluie, en attendant que le puits atteigne la nappe phréatique. Des feuilles de palmier sont par exemple utilisées comme paillis ou même comme couverture sur les plants pour conserver un maximum d'humidité.

Chez Duince Ahossouhe, l'agriculture suit le rythme de la pluie, en attendant que le puits atteigne la nappe phréatique. Des feuilles de palmier sont par exemple utilisées comme paillis ou même comme couverture sur les plants pour conserver un maximum d'humidité.

« Je ne veux pas dépendre de quelqu’un. Ma mère m’a élevée toute seule et elle m’a toujours supportée dans mon projet. » 
Ghislaine Gomez

Ghislaine Gomez produit de la « viande de soja » séchée et des biscuits de soja.

Ghislaine Gomez produit de la « viande de soja » séchée et des biscuits de soja.

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Ce reportage a été rendu possible grâce à Affaires mondiales Canada et UPA Développement international

Chez le Peuls, pendant que les hommes s'occupent des troupeaux de bovins, les femmes et les enfants s'occupent de transporter l'eau.

Chez le Peuls, pendant que les hommes s'occupent des troupeaux de bovins, les femmes et les enfants s'occupent de transporter l'eau.