BÉNIN

De l'huile de palme, des rêves et des dilemmes

SAKÉTÉ – En entendant le mot « palmeraie », le groupe de coopérants québécois a déjà quelques images en tête. Des scènes de déforestation, de saccages de biodiversité et d’exploitation viennent naturellement à l'esprit. Au cœur de la région berceau du palmier à huile, le Bénin a cependant un autre monde à lui présenter. Mirage ou espoir? C'est un peu plus compliqué.

La scène a quelque chose d’idyllique, chez Lawani Arouna, président de la Plateforme nationale des organisations paysannes et professionnelles agricoles du Bénin (PNOPPA). Des animaux paissent entre les palmiers, échappant aux minces rayons de soleil qui se faufilent entre les feuilles. « L'an dernier, on a produit 30 tonnes d'huile de palme », dit fièrement celui qui considère que l'huile de palme béninoise se différencie par son caractère respectueux de l'environnement.

Le Bénin exploite le palmier à huile de manière organisée depuis le 19e siècle, explique celui qui est propriétaire d’une palmeraie de 135 hectares, en plus de posséder la plus grande pépinière de palmiers du pays. L’industrie de « l’or rouge » a d’ailleurs déjà été beaucoup plus active, dans les années 1920 et 1930, puis lors de la relance des années 1970. Mais la presque totalité des usines de transformation a depuis cessé ses activités.  

À l’heure actuelle, le Bénin ne bénéficie donc pas d’installations appropriées qui lui permettent de raffiner sa propre huile de palme. Une fois extraite, elle est plutôt envoyée en grande majorité au Nigéria, résume le producteur Roland Vignon Fodo, qui a une production à quelques pas de M. Arouna, non-loin de la frontière nigérienne.

Lawani Arouna est président de la PNOPPA, pépiniériste et producteur de produits du palmier à huile.

Lawani Arouna est président de la PNOPPA, pépiniériste et producteur de produits du palmier à huile.

Roland Vignon Fodo

Roland Vignon Fodo

L'huile de palme utilisée pour l'alimentation est aussi appelé huile rouge.

L'huile de palme utilisée pour l'alimentation est aussi appelé huile rouge.

Et encore, la demande est loin d’être satisfaite. Après tout, il s'agit de l'huile végétale la plus consommée au monde. « On a la chance d’avoir le bon climat et le bon sol dans cette région-ci, dit celui qui est propriétaire d’Agrobusiness Industriel, une entreprise de production et transformation de noix de palme. C’est une filière qui a beaucoup d’avenir, mais qui constitue encore de la matière première d’un autre pays. Il y a des usines de transformation qui s’installent maintenant ici, ça va aider. Mais si chaque Béninois voulait en consommer 10 ml par jour, on n’aurait pas encore la quantité pour concurrencer le marché. »

Cette même vision fait écho un peu partout au Bénin : l’huile de palme représente l’une des productions les plus prometteuses sur le plan économique pour le pays. Particulièrement dans les régions clés identifiées.

Avec son nouveau Programme national de développement de la filière palmier à huile, le Bénin souhaite accroître de 50 % ses ventes d’huile de palme, d’huile de palmiste et de savons dérivés produits selon ses normes de durabilité d’ici 2030. Il vise particulièrement le marché national et la sous-région ouest-africaine, où de l’huile provenant de l’Asie est encore importée en grande quantité. En plus d'usines de transformation, bientôt, 25 000 nouveaux hectares de plantations doivent être ajoutés aux 710 000 répertoriés par le gouvernement en 2020.

Chacune des noix de palme doivent être retirées des rafles avant d'être malaxées et pressées.

Chacune des noix de palme doivent être retirées des rafles avant d'être malaxées et pressées.

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Peut-on accorder profit
et environnement?

La pépinière de Lawani Arouna ne compte que des palmiers hybrides sélectionnés, fournis par l'Institut national de recherches agricoles du Bénin.

La pépinière de Lawani Arouna ne compte que des palmiers hybrides sélectionnés, fournis par l'Institut national de recherches agricoles du Bénin.

« Chez moi, pour évaluer la richesse de quelqu’un, on demande combien de plantations de palmier il a. Ce n’est pas un produit qui dort chez soi. Si vous avez de l’huile. Vous vendez », confie le jeune producteur Bignon Gontran Amédée Dansou, croisé sur une ferme de Kétou.

Selon la Wolrd Wildlife Foundation (WWF), une superficie forestière équivalant à la Californie a été perdue au profit de palmeraies entre 2004 et 2017. En mentionnant les réticences fréquentes des Québécois envers cet ingrédient, le jeune homme hoche de la tête.

« On ne peut pas produire de palmier sans détruire des forêts. C’est nécessaire. Par contre, ce qu’on peut mieux faire, c’est de prendre des terres qui sont sous-exploitées en telle ou telle autre culture et de les transformer en palmeraie », ajoute celui qui a hérité d’une palmeraie de son père.

 En 2020, le Bénin avait perdu 35 % de la superficie forestière qu’il détenait en 1990, principalement en raison des feux de brousse, de la coupe d’arbres massive pour la fabrication du charbon ou de bois d’œuvre et du défrichage pour les terres agricoles. Aujourd’hui, l’état instaure notamment des forêts classées pour retrouver une part de son couvert forestier, mais pourra-t-il résister à la tentation d’en transformer en palmeraies ?  

«La déforestation au profit de la palmeraie est rare au Bénin, car notre modèle est basé sur la plantation villageoise qui est faite sur de petites superficies de moins de 10 hectares, avance Lawani Arouna. Elle n’est pas intensive et parfois elle se fait en cultures associées ou intercalaires.»

Harvey Bada œuvre dans la commercialisation de cet or rouge. Actuellement, il peut vendre son huile à 800 Francs CFA par litre, soit l'équivalent de 1,77 $ CA par litre. Selon lui, les différents efforts de sensibilisation du gouvernement et des organismes environnementaux concernant la déforestation ont porté fruit. Même qu'il remarque une demande pour l'huile de palme produite de manière responsable.

Pour l'identifier, une telle garantie existe bel et bien ailleurs. Pour s'assurer de faire un choix éclairé, des organismes comme la WWF encouragent notamment les consommateurs à rechercher la certification RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), présente dans plus d'une vingtaine de pays et ayant déjà certifié près de 5 M d'hectares.

Principalement, l'organisme RSPO martèle que le boycottage de l’huile de palme n’est pas la solution : ses huiles concurrentes, l’huile de tournesol, de soja ou de canola ont des rendements beaucoup moins grands à l’hectare, ce qui ne ferait qu’inciter à davantage de déforestation à long terme.

Conscient que des millions d’individus dépendent de cette industrie, il tente ainsi de démontrer qu'il est possible de produire de l'huile de palme à moindre impact.

Or, aucun producteur, transformateur ou vendeur béninois n'est encore membre de la RSPO. M. Bada croit que cette absence n'est pas étrangère au fait que cette industrie est toujours dominée par le secteur informel, comme bon nombre de productions agricoles au Bénin. La traçabilité du produit représente également un réel défi dans ce contexte.

« Il y a une politique qui amène les entrepreneurs à un découragement. L'impôt frappe fort et brise le bras aux entrepreneurs », dit-il.

Du côté de la PNOPPA, on ne constate pas d'obstacles particuliers à l'obtention de cette certification. « Mais les acteurs n’éprouvent pas encore le besoin de le faire ou bien ils ne connaissent pas son importance, croit Lawani Arouna. Le potentiel existe au Bénin pour RSPO si les acteurs en connaissent l’utilité. »

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Valorisé jusqu'à la dernière feuille

Certains producteurs utilisent ce genre de machine pour faire sortir les noix de rafles.

Certains producteurs utilisent ce genre de machine pour faire sortir les noix de rafles.

Les producteurs de palmiers à huile rencontrés sont loin d'avoir une vision péjorative de leur industrie. Installés sur des petites superficies, majoritairement en productions semi-artisanales, les cultivateurs tournent souvent vers la culture intercalaire, qui leur permet de cultiver des légumineuses, du maïs ou des tomates à travers les arbres durant les trois ou quatre premières années de vie de ceux-ci, avant qu’ils ne génèrent trop d’ombre.

« On peut produire même quand les arbres sont plus vieux, si on l’entretient bien, avance même M. Dansou. Mon père faisait ça. En même temps que d’entretenir ses palmiers, il entretenait ses plants d’arachides. Mais ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de le faire. »

Quand les arbres sont assez solides pour résister au piétinement, les producteurs peuvent aussi s’en servir comme pâturage pour les animaux et en profiter pour fertiliser la terre avec leurs excréments. Dans un pays où 38,5 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, on sait en effet recycler, revaloriser, et réutiliser.

« Rien ne se perd », avance d'ailleurs Aimé Tovizounkou, pour reprendre une part de la célèbre citation de Lavoisier.

Le propriétaire de la Ferme agropastorale Grâce infinie à Ikpinlè, qui se spécialise dans la culture de palmiers à huile et la transformation d’huile de palme, a beaucoup à partager sur son activité.

Le premier mythe à déconstruire chez ses visiteurs occidentaux, c’est qu’il n’y a que l’huile rouge qui puisse émerger d’une palmeraie. En fait, au Bénin, on compte une bonne dizaine de produits et sous-produits à cet arbre, qui passe environ 25 ans dans la plantation avant d’y être remplacé.

Aimé Tovizounkou est propriétaire de la Ferme agropastorale Grâce infinie à Ikpinklè.

Aimé Tovizounkou est propriétaire de la Ferme agropastorale Grâce infinie à Ikpinklè.

Le palmier à huile produit un fruit, la noix de palme, qui est récolté toutes les deux semaines en saison. Dans les cuisines du pays, on aime d’ailleurs l’utiliser frais pour préparer de généreuses sauces.

Très prisée dans le domaine de l’alimentation, c'est l'huile rouge qui intéresse le plus les producteurs. Elle est produite en cuisant, en malaxant et en pressant la chair de la noix, puis en faisant chauffer le liquide pour en séparer l’huile.

Avec le noyau du fruit, appelée noix de palmiste, on produit également l’huile de palmiste, qui est pour sa part utilisée dans les cosmétiques.

Les fibres issues de l’extraction des huiles de palme et de palmiste peuvent ensuite être utilisées comme tourteau pour nourrir les animaux, ou même être séchées pour être utilisées comme combustible. « Les coques sont achetées par les cimenteries », précise Aimé.

La Ferme agropastorale Grâce infinie utilise cette presse pour extraire l'huile de palme de la pâte préparée avec la chair des noix.

La Ferme agropastorale Grâce infinie utilise cette presse pour extraire l'huile de palme de la pâte préparée avec la chair des noix.

Quand l’arbre arrive à la fin de sa vie productive, l’intérieur du tronc est fermenté pour en faire du vin de palme, une boisson très populaire au Bénin. Encore plus apprécié, le produit issu de sa distillation, le sodabi, fait le bonheur des locaux et des pays voisins.

Une fois le vin de palme produit, explique Aimé, le tronc peut aussi produire de délicieux champignons lorsqu’il se décompose. « Les troncs sont aussi utilisés comme charpente dans la construction », ajoute-t-il.

Balais et paniers peuvent d’autant plus être produits à partir des branches et des grandes feuilles de l’arbre.  

 « Avoir à choisir, c’est certain que j’irais avec l’huile de palme béninoise », conclut même Samuel Thibault, jeune agriculteur québécois en mission de coopération internationale et défenseur de l'agriculture verte. À la lumière des pratiques qu'il a observées sur son séjour de deux semaines, celui-ci admet avoir lancé une partie de sa vision de cette filière par la fenêtre.

Le Bénin pourrait-il changer l’industrie? Tous demeurent cependant réalistes. En 2022, le Bénin se situait au 21e rang de la production mondiale selon Index Mundi, avec 70 000 tonnes par an. Avec sa petite superficie de 112 600 km2, il compétitionne difficilement avec l’Indonésie (1 900 000 km²) et la Malaisie (330 800 km²), qui représentent ensemble 85 % de la production mondiale d’huile de palme, selon les chiffres de la WWF.

Néanmoins, le pays espère diminuer largement sa dépendance à l'huile de palme extérieure, en réduisant du même coup le chemin parcouru par sa matière première tout en offrant un meilleur contexte économique à sa population.

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Développer la productivité

À travers son programme national de développement de la filière du palmier à huile, le Bénin a comme premier objectif d'améliorer la productivité des systèmes existants de l'industrie.

Pour atteindre son but tout en limitant les pertes de couvert forestier les producteurs sont invités à se tourner vers les pépiniéristes de palmiers hybrides sélectionnés, comme Lawani Arouna.

Il faut d'ailleurs une permission bien spécifique pour passer à l'intérieur des murs de sa pépinière, où évoluent environ 137 000 jeunes plants hybrides de type « F1 ».

Ceux-ci ont été démarrés à partir de semences fournies par l'Institut national des recherches agricoles du Bénin il y a huit mois, et seront prêts à être vendus dans deux mois, au coût de 1250 Francs CFA (2,77 $ CA) chacun.

« Tout est contrôlé, et tout est suivi de près, indique-t-il. Quand un producteur vient en acheter, on doit le former sur comment faire pousser son arbre. Il a différentes normes à respecter. »

S'il suit bien la marche à suivre, le producteur verra cependant sa productivité augmenter de beaucoup, en plus de disposer d'une meilleure résistance à la sécheresse et à la chenille légionnaire, qui représente la principale cause d'épandage de pesticides dans les palmeraies béninoises.

« Les plants sont homogènes et ils sont productifs. Ce sont des plants qui peuvent produire, 20, 25 tonnes à l’hectare. On peut apporter de l'engrais biologique, ou non biologique. »

Les palmiers naturels, qui sont encore utilisés par plusieurs producteurs en raison de leur accessibilité, produisent plutôt en moyenne 10 tonnes à l'hectare.

Près de 137 000 palmiers à huile sélectionnés grandissent dans la pépinière de Lawani Arouna. Il y passent 10 mois avant d'être confiés à des producteurs, avec un cahier de charges bien précis pour leur entretien.

Près de 137 000 palmiers à huile sélectionnés grandissent dans la pépinière de Lawani Arouna. Il y passent 10 mois avant d'être confiés à des producteurs, avec un cahier de charges bien précis pour leur entretien.

Pendant deux semaines, neuf jeunes de la relève agricole québécoise ont traversé le Bénin dans l’optique de tisser des liens qui aideront le pays à défendre son agriculture familiale en contexte de changements climatiques, de mondialisation et de course à la croissance économique. La Tribune les a accompagnés et y a fait la découverte des élevages, des cultures et des humains qui constituent la résilience béninoise. Ce reportage a été rendu possible grâce à Affaires mondiales Canada et UPA Développement international