AGROENVIRONNEMENT
Ce que le Bénin peut nous enseigner

PORTO NOVO — La vague verte qui anime la relève agricole béninoise est bien palpable dans tous les coins du pays. Alors que la valorisation des déchets agricoles y est déjà une pratique de tradition, chercheurs et jeunes producteurs tentent de franchir d’autres étapes pour utiliser le plein potentiel de la nature africaine, en tout respect pour elle. Incursion chez ceux qui croient en l’affranchissement agroécologique du pays.
À Songhaï, un centre de formation agricole d’importante renommée, l’espoir d’une agriculture durable et rentable est bien vivant. En plein centre de Porto-Novo s’étend son grand laboratoire agricole de pas moins de 22 hectares où une diversité de productions évolue en symbiose, réduisant au maximum sa dépendance aux intrants extérieurs.
Le nom de Songhaï est sur toutes les lèvres des coopérants depuis le début du voyage, et ils ne se montrent pas déçus.

Comme l’explique notre guide, Amour Kokou Allossoukpo, « chaque production fonctionne comme une petite entreprise et est réalisée à petite échelle afin que les étudiants puissent reproduire le modèle chez eux. La plupart des enclos sont même construits avec des matériaux locaux », tandis que les cultures fonctionnent sans mécanisation des travaux.
Songhaï a été fondé par le prêtre dominicain d’origine nigérienne Godfrey Nzamuko, qui souhaitait miser sur les richesses naturelles, les valeurs et la résilience de l’Afrique afin d’offrir à son continent des solutions durables pour subvenir à ses besoins.
Celui-ci a mis à profit son expertise en électronique, en microbiologie et en sciences de développement pour aménager cette ferme intégrée et biologique, basée sur le biomimétisme. Aujourd’hui, 2000 étudiants fréquentent ce centre chaque année, même si sa formation n’est pas officiellement reconnue par l’État. À ce nombre s'ajoute environ 250 stagiaires recrutés et formés gratuitement par le centre.

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Poupées russes biologiques


L’œuvre de Nzamuko ne manque pas d’exemples de réussite. En passant près d’un petit espace où pousse des bananiers, on remarque rapidement le fossé rempli d’eau qui entoure la zone. « Les bananiers demandent beaucoup d’espace, explique M. Allossoukpo. Alors on s’est demandé comment on pouvait mieux rentabiliser l’espace : on y a mis un élevage d’escargots. Sauf que le principal prédateur des escargots, ce sont les fourmis. Alors on a installé une pisciculture aux alentours qui empêche les fourmis de s’y rendre. »
Plus loin, différentes cultures végétales prospèrent. En s’approchant, M. Allosoukpo pointe un petit boisé : « nous avons instauré une mini forêt artificielle pour que les insectes aient un endroit où se refugier lorsque nous travaillons dans le champ en journée. Ensuite, ils peuvent y retourner et polliniser la culture. »

Tout est une question d’espace. La combinaison de cultures est donc réfléchie au maximum. Par exemple, comme ce n’est pas encore la saison des ignames, de la pistache africaine a été planté en attendant la croissance des tubercules. Dans un autre coin, des patates douces poussent sous les papayers.
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Économie circulaire

Un autre genre d’équilibre a été installé entre les productions animales et végétales. Comme partout au Bénin, les déchets de production végétale servent à nourrir les animaux, tandis que leurs fientes servent à produire du compost et fertiliser le sol des cultures.
Pour faciliter la récolte, la volaille est d’ailleurs élevée dans un poulailler sur pilotis, muni de grillages au plancher. De la paille est étendue sous l’installation pour mieux en récolter le fertilisant.
Les productions végétales et animales profitent de l’eau de la pisciculture, tandis que les poissons sont à leur tour nourris en partie grâce à ces productions.
« Les fientes des animaux permettent de produire des asticots qui nourrissent les poissons », explique d’ailleurs M. Allosoukpo. Puis, les fientes des animaux, les déchets végétaux et l’eau de la pisciculture mélangés servent à produire de la bioénergie, soit du biogaz. »

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Faire sa propre énergie
Afin d’être le plus autosuffisant possible, Songhaï dispose de quatre biodigesteurs. En 24 à 48 h, chacun produit suffisamment de méthane pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes pendant trois semaines, explique M. Allosoukpo. À Songhaï, on l’utilise pour la cuisson dans la cantine des étudiants.
Parmi les végétaux utilisés pour le biogaz, on compte surtout la jacinthe d’eau, qui pousse rapidement dans les bassins des poissons, mais qui est aussi utilisée pour purifier l’eau usée des douches et des toilettes… afin que celle-ci soit ensuite retournée à la pisciculture!
En ce qui concerne les déchets du biodigesteur, le digestat, celui-ci constitue un excellent fertilisant pour les cultures.

L'un des biodigesteurs du Centre Songhaï.
L'un des biodigesteurs du Centre Songhaï.

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Surcyclage
Le centre transforme une grande partie de ses productions : savons, jus, huile de palme, sirops, gâteaux, épices et fruits déshydratés sont notamment vendus à l’épicerie du centre et commercialisés à l’extérieur, tandis que les produits frais sont cuisinés aux restaurants sur place.
Pour ses emballages, le centre a installé sa propre usine de transformation de plastique. Un petit lot de plastique préformé qui entre à Songhaï sera retransformé en bouteilles ou en cellules et pots de transplantations autant de fois que la matière le permettra.

Le magasin du centre offre différents produits transformés dont la matière première a été cultivée sur place.
Le magasin du centre offre différents produits transformés dont la matière première a été cultivée sur place.
« Et lorsque le plastique n’est plus bon? », demande David Landry, membre de la délégation de la relève agricole québécoise.
« C’est simple, on s’en sert pour faire du pavé », avance le guide, faisant immédiatement sourire le groupe. Décidément, il a réponse à tout.
Du côté des plastiques agricoles, qui sont utilisés pour conserver l’humidité du sol, ils sont fondus et broyés pour fabriquer des sceaux, des poubelles et d’autres équipements utiles sur la ferme.








Avec les branches d'arbres taillées, on produit du bois raméal fragmenté qui sert de paillage et de matière organique dans les cultures.
Avec les branches d'arbres taillées, on produit du bois raméal fragmenté qui sert de paillage et de matière organique dans les cultures.

Le centre produit de l'huile de palme, qui se prépare avec des noix de palme.
Le centre produit de l'huile de palme, qui se prépare avec des noix de palme.

Avec de la sciure de bois et de l'argile, le centre produit ses propres poteries.
Avec de la sciure de bois et de l'argile, le centre produit ses propres poteries.

Au restaurant du centre, on peut manger de la viande d'aulacode, un rongeur semblable à un castor.
Au restaurant du centre, on peut manger de la viande d'aulacode, un rongeur semblable à un castor.

Le centre comporte également un volet touristique, qui offre d'observer des autruches.
Le centre comporte également un volet touristique, qui offre d'observer des autruches.

Les bassins de pisciculture qui accueillent les jeunes poissons sont munis de simulateur de pluie et d'aérateurs d'eau pour stimuler leur croissance.
Les bassins de pisciculture qui accueillent les jeunes poissons sont munis de simulateur de pluie et d'aérateurs d'eau pour stimuler leur croissance.
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Ouste, pesticides


Le Bénin demeure un grand consommateur de pesticides, majoritairement du côté des plantations de coton. Des productions maraîchères ont aussi commencé à s’y intéresser dans les dernières années, voyant leurs effets sur le rendement.
En 2018, le gouvernement béninois déclarait toujours l'importation de près de 900 000 litres de glyphosate. Pour tous les produits phytosanitaires confondus, on recensait leur utilisation dans une ferme sur trois au pays en 2021.
« La plupart des membres du Collège des jeunes agriculteurs exploitent de petites superficies et ont une propension à aller vers l'agroécologie, explique son président Duince Ahossouhe. Par contre, la main-d’œuvre de qualité pose un problème. Dans ces conditions, certains s'orientent vers l'utilisation des herbicides notamment dans les cultures céréalières et le soja. »
D’importants débats se tiennent sur la place publique depuis quelques années au sujet des pesticides, dénoncés par plusieurs agriculteurs pour leurs effets sur la santé et l'environnement.
Plusieurs études, dont l'une réalisée en 2021 par l'Université d'Abomey-Calavi, font également état de nombreux produits achetés sur le marché informel et appliqués en contradiction avec les indications, faute de formation adéquate.
À Songhaï, on a décidé d’exclure tout produit du genre. À la recherche de stratégies, on a même choisi d’implanter des populations d’insectes, comme les mantes religieuses, afin qu’elles servent de prédateurs à d’autres insectes nuisibles aux cultures.

À la pépinière La Puissance de la Vie, à Glo-Digbe, Fidel Agokoun explique n’utiliser que des produits naturels pour protéger sa production de plants forestiers et potagers. Il y tient.
« On a tout en Afrique! » dit-il. Mieux encore, l’éventail de 115 espèces que tient le producteur lui permet d’avoir accès directement à de nombreux ingrédients antiparasitaires et antifongiques.
Le producteur utilise notamment les feuilles de papayer pour préparer des insecticides. « On peut faire le traitement et consommer en même temps », insiste-t-il.
Pour fertiliser et éloigner et nématodes et autres nuisances, celui-ci prépare son propre « bocachi », un produit issu de la décomposition de matières couramment utilisé chez les agriculteurs béninois.
L’opération se réalise couche par couche, explique-t-il, et la composition dépend des besoins de l’heure.
Parmi les ingrédients, on compte des sciures de bois, des mauvaises herbes « fraîches, uniquement! », des épluchures de manioc, des cendres et même des morceaux de termitières. « C’est très riche en nutriments », précise Fidel.
À ne pas oublier : des matières fécales animales comme des bouses de vache. L’agriculteur utilise pour sa part des fientes de poules, ayant installé un élevage de poules pondeuses directement sur sa ferme.
Une fois les couches bien étalées, celui-ci recouvre le tout d’une bâche, puis remue après trois heures de repos.
« Dans une journée, vous devez remuer au moins trois fois et faire ce processus pendant au moins 6 jours. À partir de six ou sept jours, la décomposition est homogène et parfaite et on peut commencer à l’apporter aux plantes. »
En plus d’apporter des nutriments, le bocachi éloigne également les acariens, précise M. Agokoun. « Au niveau des maladies fongiques aussi on essaie d’utiliser nos propres plantes pour faire des traitements. On fait toutes ces études-là. »

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Devenir des modèles
« Goûtez! Si c’était du conventionnel, vous ne pourriez pas goûter directement comme ça » lance fièrement Florent Afouda, des épinards à la main et debout dans son rang.
Le producteur, formateur et chercheur est fier d’avoir pu développer sa propre recette de fertilisant-pesticide, qu’il a baptisé Fertipest. Un mélange créé à partir d’ingrédients d’origine animale et végétale trouvés sur sa ferme, et qui est en voie d’obtenir sa certification biologique.

Compost mûr, feuilles de neem, citronnelle, menthe et fientes animales font notamment partie du mélange ayant fait ses preuves.
« Un jour l’idée m’est venue. Certains producteurs m’en ont acheté, ils l’ont testé et m’ont dit avoir obtenu de meilleurs résultats. Ça m’a encouragé à continuer. »
En pleine ville de Lokossa, Florent Afouda utilise chaque racoin de sa parcelle pour y faire évoluer l’agriculture biologique. Son entreprise, le centre de production, formation agricole et environnemental St-Paul Afouda (CPF2A) a reçu jusqu’à maintenant 155 étudiants depuis 2012. « Les jeunes sont très intéressés, dit celui qui a lui-même étudié à Songhaï. Le défi, c’est toujours d’améliorer davantage ce qu’on fait pour être un modèle. »
Ses installations de maraîchage et pisciculture sont également utilisées à des fins de recherche, en plus de fournir la population en nourriture et les producteurs locaux en intrants.
Avec le temps, M. Afouda a réussi à maîtriser plusieurs techniques d’agroécologie, comme la rotation et l’association des cultures. La menthe est plantée en rotation avec l’amarante, un légume vert consommé comme un épinard, pour en éloigner les êtres nuisibles, tandis que des plants de noni, un fruit aux nombreuses vertus médicinales, sont installés un peu partout sur le site.

Le fruit du noni
Le fruit du noni
« Le fruit du noni, installé sur un site de culture agroécologique permet d’éloigner les acariens des cultures, explique M. Afouda. Ils vont aller vers ses feuilles, mais ne parviennent pas à le détruire. Nous on extrait le jus du fruit pour le vendre aux gens, puisque ça permet de lutter contre plusieurs maladies. »

Pendant deux semaines, neuf jeunes de la relève agricole québécoise ont traversé le Bénin dans l’optique de tisser des liens qui aideront le pays à défendre son agriculture familiale en contexte de changements climatiques, de mondialisation et de course à la croissance économique. La Tribune les a accompagnés et y a fait la découverte des élevages, des cultures et des humains qui constituent la résilience béninoise. Ce reportage a été rendu possible grâce à Affaires mondiales Canada et UPA Développement international.
